Comment cadrer une psychanalyse d'enfants ?
Psychothérapies d’enfants de moins de sept-huit ans et de plus de sept-huit ans
Françoise Dolto
Il faut nous garder, dans de nombreux cas, de prendre trop vite un enfant seul en psychothérapie, et en général tout enfant de moins de sept-huit ans, car bien des troubles, apparemment graves, peuvent n'être que réactionnels à une situation de couple perturbée et, de ce fait, à une relation faussée du père à son enfant, ou de la mère à son enfant.
La psychothérapie alors engagée avec l'enfant seul risquerait de perturber encore plus la famille ou de mettre l'enfant dans les conditions d'une psychothérapie interminable. La perturbation actuelle d'un couple, dont chacun fait état dans les premiers entretiens avec le psychothérapeute, est parfois étrangère à toute cause venant de cet enfant; mais cette perturbation fait qu'ils attendent de lui une compensation à leurs difficultés personnelles, dont ils lui font grief de les frustrer.
Souvent, on découvre avec eux que la perturbation du couple s'origine dans le piège agissant différemment, piège de la maternité pour la féminité adulte de la mère, piège de la paternité pour la virilité adulte du père. Chacun, en s'identifiant à son enfant tout petit, ou à un autre, né après celui-là, a sans le savoir régressé à des positions antérieures au mode d'amour adulte qui avait été le leur avant la venue de cet enfant.
Régression à leur vie en relation avec leurs propres parents, relation qu'aucun enfant ne peut faire revivre exactement comme ses parents désireraient le retrouver. D'où leur méconnaissance de cet enfant tel qu'il est.
Bien des difficultés de celui-ci sont réactionnelles à ces tensions qu'il provoque, en se refusant (sainement, pour lui) à satisfaire le désir de ses parents, l'un par l'autre frustrés, apparemment dans la personne de cet enfant, objet de leur tracas conscient, sujet piégé de leur désir inconsciemment incestueux. Sous le masque du gavage de nourriture, de jouets ou de scolarité, ou encore sous celui de l'usage de l'autorité parentale à but manipulateur ou de dressage.
L'impact de la relation inconsciente de chacun de ces parents à leurs propres enfants du même sexe fait que leur enfant parasite parfois leur façon spontanée de manifester leur responsabilité parentale, et cela dans le cas où leur paternité et leur maternité ne les a pas fait, à proprement parler, régresser, mais a soutenu chez eux une identification à leurs parents, à l'époque où ils avaient le même âge que leur enfant.
Il peut aussi arriver qu'une identification à leur enfant, qui ne les a pas gênés l'un vis-à-vis de l'autre dans son très jeune âge, les conduise à un réveil de culpabilité liée à leur propre angoisse oedipienne, au fur et à mesure que l'enfant grandissant manifeste ses désirs homosexuels ou hétérosexuels incestueux à leur égard ou à l'égard de leur conjoint. Par exemple, sous le prétexte d'insomnies et de terreurs nocturnes, le retour au lit des parents, l'exigence de la présence du père ou de la mère dans son lit pour s'endormir. Des situations morbides se sont installées parfois, longtemps avant que les parents ne viennent consulter le psychanalyste.
Le rôle de l’œdipe de l'enfant est très souvent déterminant dans les différends qu'il provoque entre le père et la mère, soit directement, soit indirectement, par les comportements visant la fratrie ou faisant intervenir les grands-parents. L'angoisse qui ressort des comportements familiaux à l'égard des désirs œdipiens de l'enfant, les zizanies qu'il provoque entre parents, perturbent non seulement la vie familiale, mais jusqu'à la vie sociale de cet enfant, par des comportements inadaptés
à son âge ou des troubles psychosomatiques. Et c'est pour cela que les parents viennent demander de l'aide, alors que l'enfant, lui, grâce à ses symptômes, ne souffre pas toujours d'angoisse et n'éprouve aucun désir d'en comprendre le sens ni de sortir des difficultés à vivre que ces troubles manifestent, encore moins d'en parler à quelqu'un. Il se satisfait de jouissances sado-masochiques, lesquelles suffisent à catharsiser ou ventiler ses tensions dans un mode de vie stagnant.
Des entretiens répétés avec les parents, quand l'enfant perturbé n'est pas motivé pour une psychothérapie, suffisent souvent à éclaircir pour chacun d'eux la part de fragilité émotionnelle que l'enfant exploitait inconsciemment, trop satisfait de détourner leur désir et leur amour l'un de l'autre, pour devenir leur tiers perturbateur et le souci du foyer.
On voit souvent, au cours de ces entretiens avec les seuls parents, disparaître les symptômes qui les inquiétaient à juste titre dans leur enfant. Pourtant, le psychothérapeute n'a pas encore vu celui-ci, qui ne désirait parler à personne d'un modus vivendi perturbé, mais pour lui satisfaisant.
C'est aussi le cas lorsque les relations du couple sont mauvaises, mais clairement acceptées ou subies comme telles, de façon rationnelle. Alors père et mère dissocient leur relation interpersonnelle, acceptée et reconnue comme insatisfaisante, de leur rôle de parents, qu'ils désirent assumer sans entraîner l'enfant dans leur mésentente.
Ils apprennent chez le thérapeute, ensemble, à parler clairement entre eux de leurs différends, et aussi, ce que dans ces cas-là la plupart refusaient au nom du trop jeune âge de leur enfant, à en parler à leur enfant, en le dégageant ainsi de toute culpabilité concernant cette mésentente.
Ils peuvent alors éclairer leur enfant sur le fait que, quoique chacun ait décidé d'une vie amoureuse indépendante, vécue à l'extérieur, ils ont aussi décidé soit de vivre en compagnons au foyer, soit de se séparer; même dans ce dernier cas, ils ne sont pas des ennemis et restent chacun, pour leur enfant, totalement responsables et aimants.
À l'enfant de comprendre alors qu'en aucune façon un enfant, si « aimé » qu'il soit, ne remplace un adulte aimé et désiré, conjoint ou ami. Il n'est pas rare alors que le conjoint le plus atteint dans son narcissisme par l'échec du couple devant cette réalité jusqu’à camouflée, et maintenant éclaircie d'en avoir mis l'enfant au courant, décide d'entreprendre une psychothérapie personnelle.
En fait, derrière les apparences d'une liberté réciproque que le couple s'était donnée, tout à fait rationnellement, l'un des deux ne sentait pas sa souffrance parce que l'enfant, d'un commun et tacite accord, leurré, servait de compensation en tant que miroir-témoin d'une prétendue entente conjugale.
Mais c'est l'enfant qui les a fait venir, à cause des difficultés scolaires ou des troubles en société qu'il présentait, alors que dans certains cas, à la maison, personne n'avait à s'en plaindre. C'est qu'en effet, à la maison, ses désirs œdipiens n'étaient pas mis à l'épreuve, les parents ne se désirant plus l'un l'autre, mais en société, les oreilles et les yeux aux aguets de leur dissociation affective, l'enfant se vivait rival des autres adultes, tant vis-à-vis de son père que de sa mère.
Et du fait que ses pulsions génitales n'ont pas, dans l'adulte-modèle, un Moi Idéal qui en soit le garant dans le couple parental, l'enfant ne peut que stagner sur les positions imaginaires archaïques, qui se traduisent par un retard affectif et social. Ce syndrome de retard affectif est dû à des pulsions orales, anales et urétrales, dont la castration à effet symboligène de l'organisation de ses pulsions n'est pas soutenue par les visées des pulsions génitales oedipiennes.
En effet, l'identification à l'adulte du même sexe, lorsque le couple est lié par amour et désir réciproques, soutient l'identité du sujet à assumer l'avenir d'homme ou de femme, et à construire, soutenu par la castration (des visées incestueuses du désir), une personnalisation sociale.
Caractériel, inhibé, phobique, il obtient de rendre la vie sociale de ses parents impossible et bien sûr, lui-même voulant rester bébé et dépendant, ne se fait pas d'amis ni de rivaux valorisants dans sa classe d'âge. Ces troubles réactionnels à un œdipe impossible à dépasser (du fait du couple parental et de ses problèmes) apportent à l'enfant des bénéfices secondaires et une économie d'efforts d'adaptation à la loi des enfants de son âge et de son sexe.
Il est parfois long à comprendre qu'il y gâche sa propre vie, encore plus que celle de ses parents insatisfaits de lui. Mais cette angoisse inconsciente devient parfois consciente, et peut lui faire désirer de l'aide et conduire alors parents et thérapeute à accepter trop vite de répondre à une demande personnelle de l'enfant, pour peu que l'enfant ait entendu parler de psychothérapie, ou qu'un maître en ait donné le conseil aux parents devant l'échec scolaire de l'enfant.
De toute façon, quand un enfant désire lui-même communiquer avec le thérapeute, seul à seul, pour ses angoisses ou ses difficultés réelles, notre attention doit être centrée d'abord, dans les séances préliminaires à tout contrat thérapeutique, sur les relations père-mère-enfant, perturbées et perturbantes, passées et actuelles. Et cela en en parlant avec l'enfant, après avoir d'abord reçu l'autorisation de ses parents. Ces relations, en effet, déterminent, par identification et projection, la structuration d'un faux Moi chez l'enfant, indépendamment de sa nature particulière et de ses désirs authentiques de sujet à décrypter.
Le comportement de l'enfant, ou ses troubles, physiques ou psychiques, peuvent avoir amené les parents à régresser eux-mêmes, secondairement aux réclamations et aux exigences de leur enfant; à leur insu, ils en sont venus à s'opposer à l'autonomie de celui-ci, lui ôtant sans s'en rendre compte la possibilité de prendre des initiatives et d'en assumer les risques, à l'affût que sont parfois les parents de prévenir toute épreuve et tout échec à leur enfant.
L'enfant, qui ne vit que pour eux et à travers eux, n'ayant guère d'autres relations par ailleurs, et qui connaît leur faiblesse, en joue: il les provoque, par exemple, à agir à sa place, il est trop fatigué pour finir de manger tout seul sa soupe, il est trop fatigué ou il ne « sait » pas s'habiller, lacer ses souliers, se laver, ou encore faire ses devoirs; bref il fait faire à sa mère, à des aînés, ce qu'il pourrait faire seul, imparfaitement, maladroitement (ou assumer de ne pas faire) mais avec satisfaction.
Ces parents, sans s'en rendre compte - mais cela ressort clairement des entretiens avec le thérapeute, sans l'enfant ou en sa présence - s'opposent d'une façon très subtile à ce que l'enfant fasse ses propres expériences et assume une initiative, exprime verbalement une opinion, formule un jugement sur leur attitude, sur leur point de vue.
Ils ne le suscitent jamais à réfléchir par lui-même, lorsqu'il pose une question dont il peut très bien, seul, trouver la réponse. Ce qu'il cherchait, c'est à parler et à les faire lui parler. Malgré eux, au lieu de comprendre cet interlocuteur, les parents donnent la becquée, font à sa place, agissent en corps à corps « bousculant ou « câlin » et ne soutiennent pas un colloque au cours duquel l'enfant, sûr de n'être pas physiquement pris en charge mais aidé à s'affirmer, chercherait seul sa solution personnelle.
Un désaveu critique, avant même que l'enfant ait agi ou n'ait exprimé désir, pensée, projet, jugement, conduit les parents à être pris au piège des demandes continuelles de leur enfant à s'occuper de lui. Ils se reprochent mutuellement de montrer trop de sévérité, trop de sollicitude ou trop d'indifférence, au cours des tensions familiales qui gâchent l'ambiance d'un foyer et parfois du fait d'un seul enfant, tandis que les autres ne posent pas de problèmes.
Ces parents peuvent être authentiquement unis, mais quotidiennement perturbés ou parasités par cet « enfant-problème », qui le devient tous les jours davantage, du fait des soucis de sa personne, qui les piègent par sa dépendance à eux. Cette situation peut avoir fait suite à un incident familial perturbateur occasionnel, à un accident ou à un danger, encouru par l'enfant, indépendant de lui qui, un temps, a éprouvé l'enfant et provoqué ses parents à s'occuper davantage de lui.
Il veut, ce moment dépassé, conserver les bénéfices secondaires dont cette épreuve lui avait apporté la gratification. Ce peut être une situation motivée par la naissance d'un puîné ou la jalousie d'un aîné. Quoi qu'il en soit, la situation perverse est là - l'enfant est pris, ainsi que ses parents, dans un cercle vicieux de dépendance réciproque insupportable.
C'est alors l'enfant qui doit faire face à l'angoisse de ses propres tensions internes et de ses échecs dans le milieu social et scolaire de son âge, desquels tôt ou tard il devient conscient et souffre de ne pouvoir s'en sortir. C'est pourquoi son traitement psychothérapique doit être, dans ce cas, personnel. Il le désire, ses parents sont d'accord.
C'est là que je fais intervenir un paiement symbolique de l'enfant, qui montre que c'est vraiment lui, personnellement, qui désire, de séance en séance, faire avec le thérapeute un travail modificateur de sa façon d'être (« Difficulté d'une cure ») Ce paiement symbolique est représenté, selon le contrat accepté et suivant son âge, par un caillou, un faux timbre, un carré de papier coloré, ou cinq à dix centimes, s'il a « une semaine » en argent de poche.
En effet, cet enfant, piégé en famille par les réactions des siens, qu'il provoque ou qu'il subit, éprouve des sentiments confus de culpabilité, à la fois imaginaire, qu'on décode dans ses rêves, et réelle, secondaire à des incidents caractériels, incidents en chaîne, non seulement entre les parents, mais entre frères et sœurs qui réagissent à leur tour.
L'enfant est alors un déprimé, qui surcompense parfois sa dépression, mais cherche à se faire punir pour soulager ses sentiments de culpabilité. Donc, après huit-neuf ans, un réel travail psychanalytique avec l'enfant est très souvent nécessaire, mais seulement si c'est de son plein gré qu'il vient en séance. Le paiement symbolique a pour but de manifester son désir de séance.
C'est le jour où il ne l'apporte pas, que ce contrat prend toute son importance de valorisation de la liberté du sujet vis-à-vis du travail psychanalytique. Il est félicité d'user de sa liberté et de prendre donc les choses en main.
Au moment des pulsions génitales de la prépuberté, encore mêlées de visées incestueuses qui se réveillent chez tout enfant, l'angoisse reparaît quand il ne trouve pas chez les adultes parentaux des modèles de désirants satisfaits, mais au contraire des modèles agressifs, angoissés, frustrés, dépressifs.
L'enfant ressent ses pulsions archaïques et génitales actuelles, surexcitées par cet autre, l'adulte de son sexe, non valorisé par celui auquel son sexe le porte à s'identifier. L'enfant est ainsi inconsciemment soumis au danger de l'homosexualité incestueuse. Avec l'adulte de l'autre sexe, en danger d'hétérosexualité incestueuse.
L'absence de castration possible, délivrable par ce couple parental, l'absence de symbolisation libérante de ses pulsions génitales et de la tension d'angoisse, qu'aucun adulte familier ne peut comprendre, va jusqu'à mettre en danger les castrations antérieures, je veux dire la castration anale et orale, tabou du cannibalisme, du vol, de la nuisance et du meurtre, castrations garantes des sublimations utilisables dans la scolarité et la conduite sociale. Mors, c'est l'échec. Les fugues, la délinquance juvénile et son cortège d'épreuves.
Que ce soit en période dite de latence, dès huit-neuf ans ou après, prépuberté et adolescence, une psychothérapie individuelle ne doit en aucun cas s'engager d'emblée, même si l'enfant la désire ardemment. Dans ce dernier cas, on a avec lui une entrevue courte, au cours de laquelle on lui fait comprendre la nécessité absolue d'entendre ses parents, pour savoir d'eux les choses principales de sa vie de nourrisson et de bébé, ainsi que les événements familiaux antérieurs à ce jour. L'enfant accepte toujours. Il est nécessaire, avant d'entreprendre cette psychothérapie individuelle, d'avoir eu le nombre suffisant d'entretiens avec les deux parents.
Même si les parents sont séparés, on ne peut jamais engager une psychothérapie individuelle avec un mineur qu'après l'accord au moins téléphonique ou épistolaire de chacun des deux parents. À partir du moment où l'enfant lui-même décide de sa psychothérapie, on ne voit plus les parents, même s'ils le demandent, autrement qu'en présence de l'enfant, et si celui-ci le désire.
Mais des modalités de ce contrat, ils en sont avertis avant que la psychothérapie de l'enfant - demandée par lui - ne soit engagée.
Il est dit devant l'enfant que si ses parents ont à communiquer quelque chose le concernant, ils peuvent toujours écrire et que le contenu de leur lettre, reçue par la poste ou apportée par lui, lui sera lu si les parents, l'un ou l'autre, ou les deux, se sentent frustrés de ne pouvoir continuer pour eux des entretiens personnels avec le psychothérapeute de l'enfant.
Il est bon de leur donner l'adresse d'un autre psychanalyste, pour les aider à supporter éventuellement les moments difficiles de la psychothérapie de leur enfant au foyer, et dans ses répercussions, qui ne sont pas rares, sur les autres enfants de la famille, sur les comportements scolaires transitoires de leur enfant au cours de sa psychothérapie, comportements qui entraînent parfois des réactions de la part des maîtres, le renvoi de l'école, etc.
En effet, ces événements de la réalité, c'est aux parents à y faire face et ce n'est pas toujours facile; ils voudraient que le psychothérapeute de leur enfant s'en mêle; ce dont il doit bien se garder. Son rôle, quant à la réalité à laquelle l'enfant est confronté, au fur et à mesure de sa cure, est d'en faire parler l'enfant, de son point de vue, et d'étudier avec lui la part des fantasmes qu'il y surajoute, et celle des « acting out » venant de lui et provoqués par les pulsions qui ne sont pas concernées dans le transfert.
En effet, le transfert sur le thérapeute analyste est constitué de fantasmes; ceux-ci ont à être vécus, exprimés, parlés, analysés. Si le thérapeute cède aux pressions de l'entourage éducatif de son analysant, pour donner son avis ou un conseil concernant la réalité, la collusion du fantasme avec la réalité provoque, on le sait, une situation psychotisante.
Même si cela, par chance, ne se produisait pas, de toute façon cela traduirait l'immixtion d'un désir de l'analyste à l'égard de son analysant dans sa réalité, ce qui bloquerait le travail de l'enfant ou de l'adolescent à assumer son propre désir face au désir de ceux qui sont chargés de sa tutelle ou responsables de son éducation.
Pas plus que des conseils ou des soins médicaux, des directives éducatives ou des conseils éducatifs ne peuvent être assumés par le psychanalyste engagé dans un contrat de cure psychothérapique, sans nuire grandement à la suite du travail en cours et même aux fruits du travail pourtant déjà opéré.
Ce n'est pas ce qui se passe actuellement, pendant la psychothérapie, dans la réalité de l'environnement éducatif de l'enfant, que le psychanalyste de l'enfant a à connaître.
L'enfant y joue des situations répétitives du passé et des conflits œdipiens déplacés, provocation à la recherche de punitions apaisantes pour ses sentiments inconscients de culpabilité, ou manifestations de son impuissance réelle au regard des exigences des adultes le concernant.
Cette impuissance douloureuse est déculpabilisée par le psychanalyste, du seul fait qu'il aide par son écoute l'enfant à comprendre son origine archaïque et soutient chez l'enfant le travail de l'analyse avec patience.
Faute d'avoir expliqué ces conditions nécessaires au travail de leur enfant et fourni aux parents l'adresse de quelqu'un qui les aide à comprendre et assumer leur rôle dont ils ne doivent pas démissionner, il peut arriver que les parents interrompent la cure de leur enfant.
En effet, les difficultés que rencontre leur enfant à certains moments de la cure peuvent les dérouter si personne ne les soutient à lui faire confiance, à l'aider à persévérer et à préserver, eux, au jour le jour, leurs exigences d'éducateurs, exigences apparemment inefficaces un temps plus ou moins long, mais qui relèvent de leur rôle de responsables de ce mineur.
Devant les difficultés des enfants pour lesquels les parents viennent consulter des psychanalystes, il faut bien distinguer les troubles préœdipiens avant cinq-six ans, et ceux de la période oedipienne après sept-huit ans. Pour les premiers, les entretiens avec les parents sont parfois suffisants; c'est le cas lorsque l'enfant lui-même n'est pas motivé à parler seul à seul avec quelqu'un, dans le but de sortir d'une difficulté dont il est par ailleurs - ou n'est pas conscient de souffrir.
Au cas où l'enfant est d'accord pour parler au psychothérapeute, mais désire la présence de ses parents - de l'un, de l'autre, ou des deux - cela est très favorable de faire les séances avec l'enfant en présence de ses parents; et si l'enfant, amené par ses parents, refuse de venir à la consultation, il est indispensable de recevoir les parents sans l'enfant pour parler de l'enfant qui les inquiète.
Après sept-huit ans - après avoir vu les parents - si l'enfant est personnellement désireux de faire une psychothérapie, il est indispensable de ne plus voir les parents et de faire assumer à l'enfant sa propre psychothérapie par un paiement symbolique. Mais il est non moins nécessaire de permettre aux parents d'aller parler à un autre psychanalyste que celui de leur enfant à qui ils ont parlé et qui reste alors l'interlocuteur de l'enfant seul.
La dernière séance, quand le traitement de l'enfant est terminé, réunit à nouveau les parents, l'enfant et son psychothérapeute, afin de signifier l'arrêt des séances. Le psychothérapeute restant clairement à la disposition de son jeune client, s'il le désire, pour le revoir plus tard ou pour lui indiquer, s'il lui en fait un jour la demande, l'adresse d'un autre thérapeute. Son dossier, les notes prises au cours de sa thérapie, restent bien entendu, pendant tel nombre d'années, comme durant sa psychothérapie, entièrement à sa disposition si un jour il désire en savoir plus sur cette période de son enfance difficile. Cela parce qu'on n'est jamais certain qu'une cure chez un enfant ait été résolutive. Nombre d'enfants soignés avant neuf-dix ans reviennent d'eux-mêmes chez leur thérapeute vers seize-dix-huit, pour un ou deux entretiens, à la recherche d'eux-mêmes et du travail qu'ils ont fait avec ce thérapeute.
D'autres, c'est au moment de leurs engagements dans la vie, avant de se marier. D'autres, quand leur aîné de leur sexe atteint l'âge qu'ils avaient quand ils ont été pris en psychothérapie.
Ce retour ponctuel au thérapeute de l'enfance ou de l'adolescence, à des moments mutants, sont le signe que quelque chose du transfert est demeuré après la cessation des séances. Souvenir d'un lieu et d'une personne dont la fréquentation avait permis de passer d'une étape de développement à une autre.
Ce transfert sur quelqu'un garant d'une confiance en soi-même et en son propre désir trouvé peut se ranimer au moment d'une décision d'engagement à vie. Il traduit le retour à sa propre histoire, afin que l'actuel soit parlé et pensé en référence à l'axe d'un destin dont le désir est le garant.
Texto de F. Dolto en Sospsy.com